« Guy VINCENT (1933-2017) »
Ce site a pour objet de mettre à la disposition des chercheurs, des enseignants, des étudiants, des élus, du public en général, l’ensemble des contributions/publications de Guy VINCENT, professeur de sociologie à l’université Lumière-Lyon 2 où il aura exercé de 1961 à 2000.
Ce site devrait évoluer progressivement avec la mise à disposition d’autres ressources : recensions d’ouvrages, plans de cours, bibliographies, éléments de cours, textes proposés à l’étude, correspondances, etc.
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Présentation
« Guy VINCENT »
Par Daniel THIN, triangle, UMR 5206, Université Lumière Lyon 2 et Mathias MILLET, CITERES, UMR 7324, Université François Rabelais, Tours
Texte publié dans la Revue française de sociologie, vol. 59, n°2, 2018, pp.187-189
Guy Vincent est décédé en novembre 2017 à l’âge de 85 ans. Professeur de sociologie à l’université Lyon 2, il a formé nombre de sociologues plaçant au cœur de leurs recherches la question de la socialisation, dont les auteurs de ces lignes.
Réservé et discret, Guy Vincent ne se mettait jamais en avant et nous l’avons vu parfois surpris d’apprendre le « succès » et la diffusion (parfois jusqu’à la déformation) du concept de « forme scolaire » pour lequel il est connu. Extrêmement respectueux et à l’écoute de ses étudiants, il suivait leurs travaux de manière précise, tout en acceptant les orientations de recherche qui s’écartaient des chemins qu’il avait tracés, prônant un « dialogue respectueux de l’autonomie » comme il l’a écrit à l’un d’entre nous. En outre, il savait à la fois nous encourager dans les moments de doute en soutenant que nous étions déjà des chercheurs, et nous faire confiance, nous associant à ses recherches ou nous confiant une étude dès la sortie de la maitrise, manière d’initier au métier de sociologue tout autant que de procurer des ressources financières pour poursuivre des études entamées tardivement. Enseignant méticuleux, il attachait une grande importance aux mots, à leur précision, à ce qu’ils importent dans les raisonnements à travers leur histoire, leurs usages moraux et politiques, et nous avons bénéficié de cet enseignement insistant sur la rigueur dans l’emploi des mots et des concepts en sociologie. Passionné par les travaux de Maurice Merleau-Ponty et d’Ernst Cassirer, en lien avec sa formation initiale de philosophie, il aimait les faire dialoguer, notamment avec ceux de Pierre Bourdieu, et allait chercher dans la phénoménologie le concept de forme qu’il a travaillé à rendre opérationnel en sociologie.
Guy Vincent venait d’un quartier populaire avec des parents petits artisans et commerçants (son père tenait un garage, sa mère une droguerie). Sa scolarité est assez exceptionnelle au regard de ses origines et de l’école de l’époque, celle de la division entre école primaire et lycée. Pour entrer au lycée comme boursier, il réussira l’examen d’entrée en 6e. Ses études le conduiront jusqu’à l’agrégation de philosophie en 1959. Dans les années 1960, il collabore aux enquêtes sur les étudiants du Centre de sociologie européenne et signe un texte intitulé « Les attitudes des étudiants face aux enseignants et à l’enseignement » dans Rapport pédagogique et communication écrit sous la direction de P. Bourdieu, J.-C. Passeron et M. de Saint-Martin et publié en 1965. Il réalise une thèse d’État sous la direction de Raymond Aron qui donnera lieu à son livre célèbre sur l’école primaire française et fondateur des théories de la forme scolaire. Il joue un rôle éminent dans l’installation de la sociologie à l’université Lyon 2 à la fois parce qu’il en est l’un des tout premiers enseignants et parce qu’il est l’un des fondateurs du département de sociologie, d’abord rattaché à l’UFR de psychologie, avant de conduire à la création, à la fin des années 1980, de la faculté d’Anthropologie et de Sociologie (aujourd’hui UFR d’Anthropologie, Sociologie et Science politique).
En 1976, il est un acteur central de la création du Groupe de recherche sur le procès de socialisation qui deviendra le Groupe de recherche sur la socialisation (longtemps le seul laboratoire de sociologie centré sur les questions de socialisation en France et ayant formé de nombreux chercheurs en activité sur ces questions) qu’il dirigera de longues années, mais aussi du renouvellement de l’analyse sociologique centrée sur les processus de socialisation. En effet, pour Guy Vincent et ses proches, traiter de la socialisation ne revenait pas à constituer un nouveau domaine spécialisé de la sociologie qui viendrait s’ajouter et peut-être concurrencer la « sociologie de l’éducation » ou encore la « sociologie de la famille ». Posant la socialisation comme un processus tramant l’ensemble des univers sociaux, transversal à diverses instances, il s’agissait justement de dépasser les découpages en sociologies spécialisées ou sectorielles et de définir les objets « autrement qu’en suivant les découpages institutionnels ». Prendre pour objet la socialisation impliquait, pour Guy Vincent, une autre manière de faire de la sociologie, d’envisager le monde social, en s’intéressant aux processus et à l’historicité du social. Du même mouvement, il sortait le concept de socialisation de deux enfermements conjoints dans lesquels la sociologie tendait à le contenir. En soulignant que la socialisation « est sans cesse en train de se faire, de se défaire et de se refaire autrement », on sortait d’une perspective, longtemps dominante, réduisant la socialisation à la production de l’enfant comme être social pour la traiter comme un processus continu et non strictement linéaire qui autorise les transformations comme les renforcements. En proposant, dans une formule large, que socialiser « c’est réaliser une certaine manière d’être ensemble et d’être au monde », ou que « les dérives, les déviances, la “dé-socialisation” font partie de la socialisation », on échappait aux conceptions fonctionnalistes et normatives qui encombrent encore nombre de dictionnaires de sciences sociales définissant la socialisation comme l’apprentissage des valeurs et des normes d’une société. Si Guy Vincent n’a pas cherché à faire « école », il a néanmoins contribué à la constitution d’une sorte d’école lyonnaise de la sociologie autour du concept de socialisation, qui s’est largement exportée ensuite.
Guy Vincent est surtout connu pour le concept de forme scolaire qu’il a développé dans sa thèse d’État sur l’école primaire française (L’école primaire française, Lyon, PUL, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1980) et en s’appuyant sur les premiers usages du concept de forme scolaire mobilisé, sans qu’il l’ait systématisé, par Roger Chartier auquel il vouait une grande admiration. Tout en reconnaissant l’importance des théories de la reproduction, il prenait ses distances avec certains de leurs aspects dont il disait souvent qu’elles ne permettaient pas de penser le changement, au profit d’une approche sociohistorique de l’école qui n’interroge pas seulement les écarts ou les inégalités scolaires, mais les normes et les modes de socialisation dominants des sociétés européennes à partir du XIVe siècle. De notre point de vue, son travail est très complémentaire de la notion d’arbitraire culturel présente dans La reproduction, que la théorie de la forme scolaire contribue à étayer dans une perspective sociohistorique. Loin de rabattre son objet dans l’école comme institution (« la notion de forme scolaire n’est pas une manière plus savante de dire “école” »), ses travaux sur la forme scolaire se donnent pour objectif d’« étudier si l’on peut définir par la prééminence de la forme scolaire, – distinguée des institutions et des groupes –, un mode de socialisation qui serait propre au type de société constitué en Europe à partir du XVIIe siècle » et proposent l’analyse d’une nouvelle forme de relations sociales et de socialisation qui émerge progressivement en lien avec « une restructuration du champ politico-religieux ». Ainsi, avec le concept de forme scolaire, Guy Vincent ouvrait la possibilité d’analyser comment un mode de socialisation se constitue historiquement et peut prendre une place dominante au point d’imprégner de larges secteurs du monde social au-delà de l’institution (l’école) auquel il est associé. Il permettait également l’analyse de la diversité des modes et logiques de socialisation, leurs rencontres et frottements, etc., à laquelle nous sommes quelques-uns à nous être attelés à sa suite.
Études
Licence et Diplôme d’Études Supérieures de Philosophie.
Agrégation de Philosophie (1959 / 19ème).
Doctorat d’État en Sociologie (Directeur Raymond ARON, Paris V – Sorbonne), (Thèse soutenue le 17 février 1978)